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Page:Descaves - La Vie douloureuse de Marceline Desbordes Valmore.djvu/259

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LA MÈRE

Elle écrit cela en 1846, terrassée par la fatigue et l’adversité, au chevet de sa fille qui s’éteint… Et c’est encore lui qu’elle doit plaindre d’être seul à Bruxelles, où elle le conjure pourtant de rester, sans lui dire que c’est afin de lui épargner le spectacle d’une agonie.

Elle trouve alors les accents les plus tendres, les plus douloureux, les plus beaux :


À peine j’ai cessé de l’écrire que je voudrais l’écrire, c’est un moyen de déplacer mon cœur… Il pleut et il fait froid. Point de soleil, point d’oiseau, point de rayons lumineux et dorés. Il faut chercher tout cela en soi-même, et toi au milieu ! Voilà le secret d’une âme aimante et d’une vie qui se soutient malgré tant de douleurs et d’adversités…

Hier, Inès a eu de bonnes heures. Elle s’est tenue droite quelques minutes. J’ai vu qu’elle est encore grandie étonnamment, ma tête disparait tout à fait derrière là sienne. Que d’efforts et que de travail dans cette nature aussi tourmentée au moral qu’au physique…

Je te vois si malheureux que je te demanderais à genoux de revenir si j’étais sûre que tu y consentes… je sais ce que j’ai souffert moi-même de Bruxelles qui m’écrasait, avant que tu vinsses tout embellir et changer tout pour moi, dans cette ville de spleen, quand on n’y vit pas par le cœur.

… Tu sais que je n’ai aucune erreur consolante sur la science des médecins. Je crois en Dieu.

Mes pauvres ailes tendues vers toi sont à tout moment repliées. Je ne respire que quand cette charmante petite fille me laisse respirer… Je marche, les yeux fermés, sous une volonté plus forte que la mienne.