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MARCELINES DESBORDES-VALMORE

Il dut les lui donner, et Marceline aima M. Mouton comme elle aimait M. le curé et Mlle Placide, sa servante ; le carillonneur Grenade, pareil à Goliath ; le violoniste Raoul ; la verdurière et le savetier ; don Gaspard, leur voisin, étainier de son état ; M. Leflon, l’apothicaire ; M. Taranget, le médecin ; Dartois, le loueur de carrosses ; Marianne Racine et Zabeth, les vieilles fileuses de lin ; Bégano, le cordonnier ; et les pauvres du vendredi ; et les petits amis de tous les jours ; et sa généreuse marraine, la femme de l’ancien conseiller au Parlement d’Arras.

On peut juger d’après cela des préférences d’un cœur qui se donnait ainsi. Il brisait ses amarres, il ne se connaissait plus. Et ses effusions extraordinaires n’étaient point réservées qu’aux parents de Marceline, à ses sœurs, son frère, son oncle… ; elles s’étendaient à deux fillettes de son âge, qui moururent jeunes, mais ne moururent qu’un peu. Car le génie a le pouvoir divin de rappeler à lui quelques âmes choisies, pour les rendre impérissables.

Albertine Gantier était la fille de commerçants douaisiens. Elle nous apparaît en dix élégies, comme sur autant de petites médailles frappées à son effigie. C’est elle qui venait sans cesse chercher Marceline pour cueillir aux remparts des clochettes ou des mauves roses, jouer aux osselets sur les tombes du cimetière, renvoyer le volant par-dessus les croix… ; ou encore, un panier de groseilles au bras, grimper sur le calvaire, s’y asseoir et goûter.