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LA JEUNE FILLE

Et c’est encore à Délie qu’elle explique cela.

Du goût des vers pourquoi me faire un crime ?
Leur prestige est si doux pour un cœur attristé ?
Il ôte un poids au malheur qui m’opprime ;
Comme une erreur plus tendre, il a sa volupté.

Il est fort possible (une lettre de l’acteur Monvel semble l’attester) que Marceline se soit essayée plus tôt à faire des vers, s’y soit essayée vers sa quinzième année, lorsqu’elle promenait, avec sa mère, du Nord au Midi, le répertoire dramatique du temps.

Il se peut également que le docteur Alibert[1] : à qui elle dédia, par reconnaissance, la première pièce de son premier recueil, lui ait prescrit, comme un remède à sa douleur, de s’abandonner à ses inspirations. Mais il est plus probable qu’elles furent incoercibles et jaillirent tout à coup de sa bouche, comme des flammes font éclater une porte derrière laquelle couvait l’incendie.

Les productions de Marceline jusque-là, s’il en existait, ne seraient qu’un peu de fumée révélatrice d’un maigre feu qui, n’ayant rien à dévorer, va finir par s’éteindre.

Mais il paraît… il a, sous un front ténébreux, un regard fascinateur (si tu voyais ses yeux !) ; il est, tour à tour, suppliant et fatal ; il sait le pouvoir des vers et d’une voix qui les dit bien, sur la

  1. Plus tard médecin de Louis XVIII et de Charles X et médecin en chef de l’hôpital Saint-Louis de 1802 à 1836.