Page:Deschamps, Émile - Œuvres complètes, t3, 1873.djvu/32

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

-Il OEUVIiKS D’i:.Mir.K DKSCHAMPS. avaient os6 applaudir au génie; et nous, jeunes gens, en bas de soie blancs et en manchettes de dentelles, qui avions été pendant trois heures au parterre debout, taudis qu’avec vos grosses bottes et le poil qui vous couvre le visage, il vous faut maintenant des stalles lar- ges et dormeuses comme à des chanoines, nous racon- tions, avec chaleur et modestie tout ensemble, nos émotions poétiques de la soirée; et presque tout le monde parlait et parlait bien des œuvres et des ques- tions littéraires, parce qu’il y avait alors un grand nombre de connaisseurs-amateurs, tandis qu’à présent il n’y a plus de connaisseurs que les hommes de l’art eux-mêmes, qui sont envieux ou systémati(iues. — A dix heures, les rangs s’éclaircissaient, il ne restait plus que les personnes à qui la maîtresse de la maison avait dit : "Vous soupez avec nous? Et c’étaient ordinairement les personnes les moins ordinaires. — C’est alors que les conversations devenaient plus intimes, que les inti- mités devenaient plus tendres. Le souper était une sorte de j^pas libre. La porte ne s’ouvrait plus pour laisser entrer ou sortir. On ne craignait plus une désertion ou une visite. Les yeux s’allumaient avec les girandoles de la table; les têtes et les bons mots partaient avec le vin d’Aï; les cœurs se rapprochaient comme les sièges. Les flatteries délicates, les impromptus galants, les couplets sémillants, les déclarations à voix bien basse ou bien haute, pour n’être entendues ou comprises que d’une seule personne; toutes les caresses de l’esprit qui allaient chatouiller l’orgueil de la reine du lieu; cet air chargé d’amour que les femmes respiraient, et ses ri- res d’enchantement plus encore que de gaieté... Puis on entendait rouler un carrosse sous la porte; c’était le maître de la maison qui rentrait, et l’on se séparait au moment où l’on désirait le plus de rester ensemble. Mais on se retrouvera demain et après-demain, et... s’il devait en arriver malheur... (est-ce malheur qu’il faut dire? ), avouez, mesdames, que nous l’avions bien mérité! — Voilà un salon et un souper de 1775. » « Un salon d’aujourd’hui est tout différent. — C’est toujours mon père qui parle, et il avait quatre-vingts