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habitués à ne plus ouvrir un volume de vers, de peur d’en voir sortir, à chaque page, tout un poulailler décrit, ou de la mélancolie de Directoire. Leur défiance durait encore quand les poètes réels sont arrivés, et cette défiance invétérée sera longue peut-être à se guérir entièrement. Si les Œuvres d’André Chénier, de ce poète immense, sitôt moissonné par la faux implacable qui n’épargnait aucune royauté, eussent été publiées à la fin du dernier siècle, quelqu’incomplètes, quelqu’imparfaites qu’elles soient, à cause de cette mort précoce, nul doute que l’âme des hommes supérieurs ne se fut prise alors à cette poésie virile et naturelle, et la réconciliation qui s’accomplit lentement eût été avancée de trente ans. Mais l’ombre d’André Chénier ne devait être évoquée que par une voix toute poétique : M. Delatouche s’est acquitté de ce soin pieux avec la modestie et la ferveur du talent.

Au surplus, pour faire sentir l’injustice de quelques préventions défavorables, il est bon de rappeler que les poètes ont en général été de bons écrivains en prose, quand ils l’ont bien voulu, tandis qu’il n’y a peut-être pas d’exemple de grands écrivains qui soient montés de la prose à la poésie. Racine écrivait en prose avec une rare élégance. Voltaire est parti d’Œdipe pour