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Page:Deschamps - Marivaux, 1897.djvu/129

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JEUNES FILLES.

avais pu l’indisposer contre moi, et te servir de sa méchante humeur pour m’insinuer de m’en aller.

— Mais, oui-da, je suis peut-être jaloux ? Ma façon de vivre, jusqu’ici, m’a rendu fort suspect de cette petitesse ? Débitez-la, monsieur, débitez-la dans le monde. En vérité, vous me faites pitié. Avec cette opinion-là sur mon compte, valez-vous la peine qu’on vous désabuse ?

— Je puis en avoir mal jugé ; mais ne se trompe-t-on jamais ?

— Moi qui vous parle, suis-je plus à l’abri de la méchante humeur de ma mère ? Ne devrais-je pas, si je l’en crois, être aux genoux d’Hortense, et lui débiter mes langueurs ? J’ai tort de n’aller pas, une houlette à la main, l’entretenir de ma passion pastorale ; elle vient de me quereller tout à l’heure, de me reprocher mon indifférence ; elle m’a dit des injures, monsieur, des injures ; m’a traité de fat, d’impertinent, rien que cela ; et puis je m’entends avec elle !

— Ah ! voilà qui est fini, marquis ; je désavoue mon idée, et je t’en fais réparation.

— Dites-vous vrai ? Êtes-vous bien sûr au moins que je pense comme il faut ?

— Si sûr à présent, que si tu allais te prendre d’amour pour cette petite Hortense dont on veut faire ta femme, tu me le dirais, que je n’en croirais rien.

— Que sait-on ? À cause que je l’épouse, il y a à craindre que mon cœur ne s’enflamme et ne prenne la chose à la lettre !

— Je suis persuadé que tu n’es point fâché que je lui en conte.

— Ah ! si fait, très fâché ; j’en boude, et, si vous continuez, j’en serai au désespoir.

— Tu te moques de moi, et je le mérite.

— Ah ! Ah ! Ah ! Comment es-tu avec elle ?

— Ni bien ni mal. Comment la trouves-tu, toi ?

— Moi ! Ma foi, je n’en sais rien ; je ne l’ai pas encore trop vue ; cependant il m’a paru qu’elle était assez gentille, l’air naïf, droit et guindé ; mais jolie comme je te dis. Ce visage-là pourrait devenir quelque chose s’il appartenait à une femme du monde, et notre provinciale n’en fait rien ; mais cela est bon pour une femme ; on la prend comme elle vient.

— Elle ne te convient guère. De bonne foi, l’épouseras-tu ?

— Il faudra bien, puisqu’on le veut ; nous l’épouserons, ma mère et moi, si vous ne nous l’enlevez pas.

— Je pense que tu ne t’en soucierais guère, et que tu me le pardonnerais.

— Oh ! là-dessus, toutes les permissions du monde au sup-