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Page:Deschamps - Marivaux, 1897.djvu/144

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MARIVAUX.

nom de Phocion. Ainsi déguisée, elle entre incognito chez le professeur de philosophie, lequel possède un joli jardin aux environs de la ville. Elle s’est avisée d’un stratagème dont voici le plan : se donner pour un jeune écolier que le désir d’entendre le professeur Hermocrate a conduit en ces lieux ; écouter sans bâiller plusieurs conférences de philosophie ; profiter de cette occasion pour voir Agis et pour lui dire, entre deux dissertations : « Je vous aime ».

Hermocrate, secouru par les lumières de son valet Arlequin, devine tout de suite que le prétendu étudiant est une fille habillée en garçon. Que faire ? Léonide est décidée à tout, pourvu qu’elle voie son prince charmant. Elle regarde Hermocrate bien en face et lui tient à peu près ce langage ; « Eh bien ! oui, monsieur le professeur, je suis une femme. Je suis venue ici, poussée par une passion inconsidérée peut-être, mais qui sûrement vous touchera quand vous en recevrez l’aveu. Ce n’est pas votre philosophie qui m’attira dans votre jardin. Hélas ! c’est vous-même. » Et puis, elle marivaude éperdument : « Oui, seigneur, je vous aime ; mais ne vous y trompez pas, il ne s’agit pas ici d’un penchant ordinaire. Cet aveu que je vous fais ne m’échappe point, je le fais exprès ; ce n’est point l’amour à qui je l’accorde, il ne l’aurait jamais obtenu ; c’est à ma vertu même que je le donne. Je vous dis que je vous aime, parce que j’ai besoin de le dire, parce que cette confession aidera peut-être à me guérir, parce que je cherche à rougir de ma faiblesse pour la vaincre. Je viens