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Page:Deschamps - Marivaux, 1897.djvu/166

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MARIVAUX.

ce mot, que Sébastien Mercier, l’auteur du Tableau de Paris, définissait ainsi : « On appelle grisette la jeune fille qui, n’ayant ni naissance ni bien, est obligée de travailler pour vivre, et n’a d’autre soutien que l’ouvrage de ses mains. Ce sont les monteuses de bonnets, les couturières en linge, etc., qui forment la partie la plus nombreuse de cette classe. » C’est ici l’occasion, pour l’auteur, de décrire un milieu bizarre et louche, les repas de la marchande lingère, Mme Dutour, avec un amant de cœur qui vient la voir de temps en temps, et à qui elle donne de l’argent et des nippes ; les commérages avec les voisines qui jacassent ; les allées et venues du vieux monsieur qui, toutes les fois qu’il entre dans la boutique, montre une singulière inclination à ôter la cornette de Marianne afin de voir, de toucher ses cheveux et de défaire son chignon natté. La peinture de la boutique où Mme Dutour débite sa marchandise, rappelle, avec moins d’épaisseur dans le trait et de brutalité dans la touche, certaines descriptions du Roman bourgeois de Furetière.

Marianne, malgré son jeune âge et son inexpérience, commence à comprendre, et une voix intérieure lui tient ce petit discours : « Les passions de l’espèce de celles de M. de Climal (c’est le nom de ce vieux Tartuffe) sont naturellement lâches quand on les désespère ; elles ne se piquent pas de faire une retraite bien honorable, et c’est un vilain amant qu’un homme qui vous désire plus qu’il ne vous aime : non pas que l’amant le plus délicat ne désire à sa manière, mais du moins c’est que chez lui les sentiments du cœur se mêlent avec les sens ; tout