moraliste délicat est quelquefois brutal), il note la « faction singulière » des jeunes marquis, restant plantés devant la porte de la Comédie, après la représentation, afin d’entrevoir, aux lanternes, les jambes des dames qui montent en carrosse.
Dans une antichambre, il remarque un solliciteur qui court après un homme en place. Celui-ci, très important, tout bouffi de sa dignité, marche à grands pas vers sa voiture. L’autre s’essouffle à le suivre, articulant fort mal, bredouillant sa requête, a tâchant de vaincre, à force de poitrine, la difficulté de s’exprimer en marchant trop vite ». Le pauvre homme fait peine à voir. « Quand on demande des grâces aux puissants de ce monde, et qu’on a le cœur haut placé, on a toujours l’haleine courte. » Le grand seigneur répond à peine, sans regarder. « La moitié de sa réponse se perd dans le mouvement qu’il fait pour monter en carrosse. » Un « laquais de six pieds » ferme la portière qui retombe avec un bruit sourd. Fouette, cocher ! La voiture roule et s’éloigne, laissant le solliciteur tout penaud de l’arrogance du maître et de l’insolence des valets.
Changement de décor. Une rue. Un groupe animé passe, s’arrête de temps en temps pour écouter un homme qui gesticule et pérore. Marivaux s’approche, écoute l’orateur.
« Il parlait de la dernière paix avec l’Allemagne et l’Angleterre, il jetait les ministres dans des intrigues politiques, il s’étonnait de leur habileté ; et je remarquai qu’insensiblement la dignité du sujet étourdissait cet homme, qu’elle réfléchissait sur son âme et la remuait d’un sentiment d’élévation per-