Donc, cet Espagnol dormait profondément, lorsqu’il crut voir un verger dont les fleurs étaient fanées et dont les arbres semblaient mourir de consomption. Dans ce pays, qui demeurait inculte bien qu’il parût naturellement fertile, on voyait un palais dont l’architecture était majestueuse et triste. Une femme en sortit, belle, souriante, mais voilée de mélancolie.
« Jeune homme, dit-elle à l’Espagnol, vous ne comprenez rien à ce que vous voyez ? »
Le jeune Espagnol fit un signe d’assentiment.
« Eh bien ! reprit-elle, nous voici dans les terres de l’Amour ; ce palais antique est sa demeure, et moi, je suis l’Estime, compagne inséparable de ce dieu.
— De grâce, expliquez-moi, demanda l’Espagnol, ce que signifient ces arbres, ces fleurs fanées dont l’odeur me réjouit encore ? Cette terre me paraît excellente, pourquoi ne la cultive-t-on point ? L’Amour manque-t-il de sujets ?
— Tout ce que vous voyez, dit-elle, n’est fait que pour votre instruction ; c’est une image des effets que produisit autrefois l’Amour chez les hommes. Cette terre figure leur âme ; ces fleurs et ces arbres sont les vertus que l’Amour y faisait naître ; l’état mourant dans lequel vous paraissent toutes ces choses, vous marque qu’elles sont anciennes. Cette terre ne produit aujourd’hui ni fleurs fraîches, ni arbres nouveaux ; c’est que l’Amour ne règne plus parmi les hommes ; et qu’il n échauffe plus leur âme du goût des vertus qu’il y faisait germer autrefois. »