Page:Deschamps - Old England, paru dans Le Temps, 26 mars 1899.djvu/15

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On serait tenté de comparer Catherine Morland à la spirituelle et raisonnable Marianne de Marivaux, si la narration anglaise, d’ailleurs brève et sobre, n’était exempte de ces incidents romanesques dont le romancier français surcharge la trame diffuse de son récit. Jane Austen excelle à intéresser le lecteur avec des événements qui semblent dénués d’intérêt. Une partie de cricket, les tribulations d’un canari qui sautille dans une cage, la satisfaction d’un rosier qu’on arrose, la tristesse d’une fillette qui est au bal et qui ne danse pas assez, le plaisir de cette même fillette, si un jeune homme remarque sa robe de mousseline à fleurs garnie de bleu, une incroyable variété de toilettes, de soirées familiales, de flirts ingénus, la lecture, en famille, du Spectateur d’Addison, une excursion en cabriolet, une conversation insignifiante, après dîner, une course dans les magasins, des discussions sur les mérites respectifs du jaconas et de la batiste, du nansouk et de l’organdi, tels sont les faits que l’auteur de cette biographie nous signale avec le scrupule chronologique d’un historiographe, sans céder à l’impatience et sans nous exposer à l’ennui. Jamais on n’a noté d’un trait plus sûr ni plus incisif les mille puérilités dont se compose inévitablement la vie d’une fille du monde, élevée, comme il convient, dans l’espérance du mariage et dans la crainte du célibat.