Page:Deschamps - Old England, paru dans Le Temps, 26 mars 1899.djvu/6

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Si, maintenant, vous êtes curieux de peupler ce décor, d’animer ces solitudes, de rencontrer des compagnons sur ces routes et d’être admis dans l’intimité de ces logis, arrêtez-vous, non seulement devant les admirables portraits de sir Joshua Reynolds et de Thomas Gainsborough, mais devant les menues scènes de genre qu’a multipliées la verve moralisante des anecdotiers anglais : l’Oncle Toby, de Leslie, la Fête au village, de sir David Wilkie, la Vie à Londres, de Benjamin-Robert Haydon et même ce réjouissant Derby d’Epsom, où le bon M. Frith, imagier de pochades vertueuses, a mis une si naïve quantité de prétentions satiriques et d’intentions morales… Ainsi, vous évoquerez des visions mortes, l’Angleterre d’hier et d’avant-hier, des figures déjà plus vieilles que Dickens, des gens qui ont connu, au moins par tradition, le révérend Sydney Smith, ou qui auraient pu voir ce pauvre Robert Burns improviser des chansons d’amour en poussant sa charrue sur les collines brunes de Carrick…

C’était une Angleterre aussi pratique, mais plus rêveuse, moins affairée que celle d’aujourd’hui. Le peintre Fulton n’avait pas encore inventé la navigation à vapeur. Les hautes cheminées des usines ne crachaient pas de la suie sur les briques rouges des faubourgs londoniens. On avait du loisir. On n’était pas trop pressé. L’excès des sports n’avait pas encore transformé les misses en clownesses et les gentlemen en jockeys. On vivait sans hâte et sans brutalité.