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Page:Deschamps - Old England, paru dans Le Temps, 26 mars 1899.djvu/7

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Nos émigrés de 1793 ont pu connaître encore et savourer ce parfum d’un passé définitivement aboli. Chateaubriand fut le témoin attentif de ce changement historique, au temps où il déjeunait chaque matin pour un shilling, dans un estaminet de Holborn. En ce temps-là, dit-il, « l’Angleterre était triste mais charmante ; partout la même chose et le même aspect… Les femmes étaient charmées de rencontrer un Français pour parler français. »

C’était le temps où les écrivains, de l’un et de l’autre côté du détroit, faisaient assaut de courtoisie, sans prendre garde aux difficultés de la politique et aux querelles des rois. Les écoliers d’Angleterre continuaient de réciter le Renard anglais, fable de La Fontaine :

…Les Anglais pensent profondément :
Leur esprit, en cela, suit leur tempérament ;
Creusant tous les sujets et forts d’expériences,
Ils étendent partout l’empire des sciences.

La cour de Versailles et la ville de Paris s’étaient amusées à imiter les « matinées anglaises » de la Nouvelle Héloïse, c’est-à-dire, selon Jean-Jacques, une certaine façon de prendre le thé et de lire les gazettes, une « immobilité d’extase », un « air de contemplation rêveuse et douce », et enfin l’art de se taire, comme les amis de Mme de Wolmar, deux heures durant, avec délices, « réunis et dans le silence, goûtant à la fois le plaisir d’être ensemble et la douceur du recueillement ». Les romanciers français empruntaient