Page:Desjardins - Esquisses et Impressions, 1889.djvu/94

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et d’intransigeant, de très violent à la fois et de très contenu ; il est chaufifé au rouge sombre. On se rappelle le petit sauvage de l’ile Bourbon grandissant sans sourire et sans religion, pieds nus sur un roc dur, se baignant dans Teau glacée et se fortifiant dans la solitude. On se le rappelle tard venu dans la civilisation qui émousse et polit les angles, ne s’établissant à Paris qu’à vingt-sept ans, révolutionnaire en 1848, puis tout à coup pris d’un grand dégoût des foules, de l’activité, de la vie, ne s’exprimant plus que par hiéroglyphes, mais bouillonnant toujours d’un feu souterrain sous la lave refroidie. Voilà pourquoi ce discours fait éprouver quelque vague malaise : on y devine comme des convulsions intérieures ; voilà pourquoi il est personnel et intéressant : tout n’y est pas éteint et mort.

La forme en est belle, classique, d’une très haute tenue. Il faut pourtant renouveler ici une observation que les vers de M. Leconte de Lisle m’ont souvent donné l’occasion de faire. Il mêle à sa langue propre beaucoup d’éléments empruntés et encore reconnaissablés ; dans ses poèmes, dès qu’il cesse d’être descriptif, on relève chez lui des hémistiches de Corneille, de Victor Hugo, même de Béranger ; dans son discours, plusieurs phrases frappent pour avoir été déjà entendues ; les jugements sur Eschyle, Aristophane, quelques autres sont d’une banalité fastueuse : ils paraissent inspirés des cours de littérature de M. Merlet. En même temps, M. Leconte de Lisle est visiblement préoccupé de se soustraire à ces réminiscences ;