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POÈTE À DOUZE ANS.

désir d’apprendre et de connaître éloignait Arouet de ses petits camarades et le rapprochait de ses maîtres. Dès sa quatrième, il passait les récréations en compagnie des pères Porée et Tournemine, avec lesquels il donnait entière licence à cet irrésistible besoin de questionner qu’ils encourageaient. Et lui reprochait-on de nepas danser, courir, chanter, rire avec les autres ; il répondait que chacun sautait et s’amusait à sa manière. C’était vers l’histoire, comme il le déclare dans une lettre à l’abbé d’Olivet[1], et surtout l’histoire contemporaine et les choses du gouvernement et de la politique, qu’inclinait la curiosité de son esprit, ce qui faisait dire à Porée : « qu’il aimait à peser dans ses petites balances les grands intérêts de l’Europe[2]. »

Mais, avant tout, il était né pour faire des vers. Les vers avaient été sa première langue, il avait bégayé des vers avant d’articuler de la prose ; à trois ans, comme on l’a vu, Châteauneuf lui faisait réciter les fables du bon la Fontaine et ce poëme irréligieux que Rousseau eût composé lorsqu’il était secrétaire de l’évêque de Viviers. Dès l’âge de douze ans (en 1706), n’étant encore qu’en cinquième, il s’essayait dans quelques traductions d’Anacréon, qu’on n’a pas retrouvées, et une épigramme imitée de l’anthologie grecque sur les prouesses de Léandre, qui a été recueillie. Mais le jeune Arouet avait, dès lors, de bien autres visées, et son ambition ne tendait pas à moins qu’à doter notre théâtre d’un chef-d’œuvre. C’est le rêve de tout rhétoricien, mais il s’en

  1. Voltaire, Œuvres complètes (Beuchot), t. LIII, p. 293. Lettre de Voltaire à l’abbé d’Olivet ; à Cirey, ce 20 octobre 1738.
  2. Duvernet, la Vie de Voltaire (Genève, 1786), p. 14, 17, 19.