Page:Desnoiresterres - La jeunesse de Voltaire.djvu/66

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
48
LE CHOIX D’UN ÉTAT.

les charges de magistrature, qui s’achetaient, se trouvaient souvent dansle même cas : M. de Maisons, l’ami de Voltaire, avait, à dix-huit ans, au parlement, voix et séance à la place de président. Il est à supposer que nos deux conseillers n’étaient pas les Nestor de leur compagnie. Il ne tint qu’à Arouet lui-même, dès cette époque, d’être l’égal de ces mauvais plaisants. Son père, qui eût tout donné pour le sortir de sa vie dissipée, lui fit proposer un office ; mais celui-ci répondit au négociateur bénévole : « Dites à mon père que je ne veux point d’une considération qui s’achète, je saurai m’en faire une qui ne coûte rien[1]. » Il s’explique à cet égard avec un sentiment de louable fierté et une parfaite conscience de sa valeur qui est ici à sa place : « Comme j’avais peu de biens, écrivait-il à d’Argenson, quand j’entrai dans le monde, j’eus l’insolence de penser que j’aurais eu une charge comme un autre, s’il avait fallu l’acquérir par le travail et la bonne volonté. Je me jetai du côté des beaux-arts, qui portent toujours avec eux un certain air d’avilissement, attendu qu’ils ne font point un homme conseiller du roi en ses conseils. On est maître des requêtes avec de l’argent, mais avec de l’argent on ne fait point un poëme, et j’en fis un[2]/. » Mais, bien qu’il semble le donner à entendre, ce ne fut pas l’argent qui lui manqua. « J’ai refusé, dit-il ailleurs, la charge d’avocat du roi à Paris, que ma famille, qui a exercé longtemps des charges de judicatures en province,

  1. Duvernet, Vie de Voltaire (Genève, 1786), p. 25.
  2. Marquis d’Argenson, Mémoires (Jannet), t. IV, p. 363. Lettre de Voltaire au marquis d’Argenson ; Bruxelles, 22 juin 1739.