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LE MARQUIS DE CHATEAUNEUF.

que de choses et d’événements auparavant allaient traverser la vie du poëte, trop emporté, trop vain, trop inconsidéré pour ne pas à tout instant compremettre par des folies sa tranquillité et sa liberté !

M. Arouet, ne voyant pas d’issue à cette vie dissipée, résolut d’éloigner au plus tôt le jeune homme, trop engagé pour renoncer de lui-même à ses relations, à son monde. Il connaissait de longue date le marquis de Châteauneuf, vieilli dans les négociations, ambassadeur de 1689 à 1696 à Constantinople, et en Portugal de 1703 à 1705, et qui venait d’être envoyé auprès des états généraux[1] ; il le suppllia de vouloir bien se charger de son fils, à titre de page ou d’attaché, espérant que le changement de lieu en amènerait un autre dans ses idées et dans sa conduite. Luchet prétend que ce fut l’abbé de Châteauneuf qui plaça son filleul près de son frère, ce qui est de toute impossibilité, par la raison qu’il n’existait plus depuis 1709[2]. Le payeur des épices de la chambre des comptes avait déjà essayé de l’éloignement, et, sans aller jusqu’à l’exil, il avait au moins établi une notable distance entre le jeune écervelé et ce Paris si dangereux et si charmant. Bien qu’aucun des biographes de Voltaire ne semble avoir eu connaissance de ce voyage, nous avons les preuves d’un séjour d’Arouet à Caen vers

  1. « Jeudi 28 septembre (1713). M. de Châteauneuf, notre ambassadeur en Hollande, est arrivé à la Haye. » Dangeau, Journal, t. XIV, p. 486.
  2. Luchet, Histoire littéraire de M. de Voltaire (Cassel, 1781), t. I, p. 10. — Arouet avait été le notaire des deux frères, comme cela résulte des quittances trouvées à son inventaire. Cote quarante-huit.