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AMOURS TRAVERSÉES.

de mieux garder sa fille. Mais il put craindre, non sans raison, que ce ne devînt un prétexte à des chiffonneries qu’il était plus prudent d’éviter. On savait de quoi était capable l’auteur de la Quintescence : il lui était d’autant plus aisé de faire de tout cela une affaire de prosélytisme religieux que M. Dunoyer avait déjà travaillé souterrainement à reconquérir sa fille, et qu’un retour en France eût été suivi, comme pour l’aînée, d’une réintégration dans le giron de l’Église romaine ; et c’eût pu donner lieu à un conflit sérieux entre les Excellences et l’ambassadeur, qui en était encore à faire son entrée[1]. Mieux valait renvoyer à son père cet enfant turbulent et brouillon, et ce fut la décision que prit sur-le-champ le marquis.

Le poëte, qui ne s’attendait à rien moins qu’à un tel coup, le soir, en rentrant, est averti que l’ambassadeur veut lui parler ; il monte chez lui et apprend, sans autre exorde, qu’il allait partir sur-le-champ pour retourner en France. Arouet, atterré, emploie tout ce qu’il a d’éloquence pour faire revenir sur un pareil arrêt : il obtient à grand’peine que le voyage soit différé jusqu’au lendemain ; mais défense la plus absolue de mettre le pied dehors, sous quelque prétexte que ce fût. « Sa raison est qu’il craint que madame votre

  1. Le marquis de Châteauneuf fit son entrée publique à la Haye, le 5 janvier 1714. Gazette de France, 27 janvier 1714. — Madame Dunoyer a donné une description des plus détaillées de cette solennité. Madame Dunoyer, Lettres historiques et galantes (Antslerdam, 1720), t. IV, p. 184, 185, 186, 187. — « Il est assez plaisant, dit Voltaire à l’article Cérémonies, se souvenant probablement alors de cette ambassade, de faire son entrée dans une ville sept ou huit mois après qu’on y est arrivé. » Voltaire, Œuvres complètes (Beuchot), t. XXVII, p. 540. Dictionnaire philosophique.