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2 MADAME DUCHATELET.

derniers, c’est l’infernal crayon d’une femme infernale que le déguùt d’elle et des autres poussait, par désœuvrement et ennui, à ces exécutions atroces. Yoici de quelle façon madame du Deffand nous peint son ancienne amie.

Représentez-vous une femme grande et sèche, sans hanches, la poitrine étroite (la crudité de l’expression nous force ici à enlever quelque chose), de gros bras, de grosses jambes, des pieds énormes, une très-petite tête, le visage aigu, le nez pointu, deux petits yeux vert de mer, le teint noir, rouge, échauffé, la bouche plate, les dents clair-semées et extrêmement gâtées. Voilà la figure de la belle Emilie, figure dont elle est si contente qu’elle n’épargne rien pour la faire valoir : frisures, pompons, pierreries, verreries, tout esta profusion ; mais comme elle veut être belle en dépit de la nature, et qu’elle veut être magnifique en dépit de la fortune, elle est souvent obligée de se passer de bas, de chemises, de mouchoirs et autres bagatelles 1.

Reprenons haleine. Il y a là autant de. coups de poignard que de phrases, de périodes, de mots. Madame du Deffand, on le voit, s’entendait en exécutions. « Elle me rappelle, disait Thomas, l’auteur des Éloges, les paroles d’un médecin de ma connaissance : Mon ami tomba malade, je le traitai ; il mourut, je le disséquai 2. » Mais le médecin avait attendu la mort de son ami ; madame du Deffand disséquait la marquise de son vivant, cela est plus fort. Il est une

1. Disons que le portrait tel que nous le publions est une seconde version retouchée et augmentée, à laquelle les amis ont Lien pu ajouter. On comprend que nous ayons choisi celui des deux qui apporte le plus de traits à cette figure grimaçante. Les comparer l’un à l’autre dans la Correspondance complote de madame du Deffand (Paris, 1805), t. II, p. 702, 7G3. Les additions ne sauraient être antérieures à 17 40.

2. Madame Necker, Uèlunijcs (Paris, 1798), t. II, p, 125.