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Page:Desperiers - Cymbalum mundi, Delahays, 1858.djvu/125

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hommes joyeux, contens, sains, gays, drus[1], hubiz[2], vioges[3], alaigres, esbaudiz, galans, galois[4], gaillardz, gentz, frisques[5], mignons, poupins[6], brusques[7]. O qu'ilz se portoyent bien ! O que tout alloit bien ! La terre apportoit toute sorte de fruitz sans main mettre[8] ; les loups ne mangoyent point le bestial[9] ; les lyons, les ours, les tigres, les sangliers, estoient privez comme moutons. Brief, toute la terre sembloit un paradis, ce pendant que ces truans[10] de diables estoyent en basse fosse. Mais qu'avint il ? Au bout d'un long espace de temps, ainsi que les regnes se changent, et que les villes se destruisent, et qu'il s'en reedifie d'aultres, il y eut un Roy, auquel il print envie de bastir une ville, et fortune voulut qu'il entreprint de la bastir au propre lieu ou estoyent ces diables enterrez. Il fault bien que Salomon faillist à y faire entrer quelque petit diable qui s'estoit caché soubz quelque mote de terre, quand ses compagnons y entrerent. Lequel quidam diablotin mit en l'entendement de ce Roy de faire sa ville en cedit lieu, à fin que ses compagnons fussent delivrez. Ce Roy donc mit gens en œuvre pour faire ceste ville, laquelle il vouloit magnifique, forte et imprenable. Et pource, il y falloit de terribles fondemens pour faire les murailles, tellement que les pionniers caverent si bas, que l'un d'entre eulx vint tout premier à descouvrir ceste cuve ou estoyent ces diables. Lequel l'ayant ainsi heurtée, et que ses compagnons s'en furent apperceuz, ilz penserent bien estre tous riches, et qu'il y eust un tresor inestimable là dedans. Helas ! quel tresor c'estoit ! Eh Dieu que ce fut bien en la malle heure ! O que le ciel estoit bien lors envieux contre la terre ! O que les dieux estoyent bien courroussez contre le povre genre humain ! Ou est la plume qui sceust escrire ? Ou est la langue

  1. Vaillants, vigoureux.
  2. Bien nourris, gaillards, selon La Monnoye, qui s'appuit sur les vieux glossaires.
  3. Vivaces, bons vivants.
  4. Amis du plaisir.
  5. Frais, dispos, gaillards.
  6. Coquets.
  7. Forts ; de l'italien brusco. Cette accumulation d'épithètes qualificatives est tout à fait dans le goût de Rabelais.
  8. Sans y mettre la main, sans culture.
  9. Pour : bétail.
  10. Gueux, coquins ; du bas latin tritanus et trudanus, qui vient du verbe trudere, et du participe trudens.