Page:Desperiers - Cymbalum mundi, Delahays, 1858.djvu/250

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et luy dit : « Per diem[1], Domine ! il y ha la plus fausse[2] vieille sus le Petit Pont ! Je voulois achepter de la moulue : elle m’a appellé Johannes. — Et qui est-elle ? dit le regent ; la me montreras-tu bien ? — Ita, Domine, dit l’escolier ; et encore m’ha-elle dict que, si vous y alliez, qu’elle vous renvoyeroit bien. — Laisse faire, dit le regent ; per dies[3] ! elle en aura. » Ce regent se pensa bien que pour aller vers une telle dame, qu’il ne falloit pas estre despourveu, et que la meilleure provision qu’il pouvoit faire, c’estoit de belles et gentilles injures, mais qu’il luy en diroit tant, qu’il la mettroit ad metam non loqui[4], et en peu de temps il donna ordre d’amasser toutes les injures dont il se peut adviser, y employant encores ses compagnons : lesquelz en composerent tant, en choppinant, qu’il leur sembla qu’il y en avoit assez. Ce regent en fit deux grands rolletz et en estudia un par cueur ; l’autre, il le met en sa manche pour le secourir au besoing, si le premier luy failloit. Quand il eut bien estudié ses injures, il appella ce martinet pour le venir conduire jusques au Petit Pont et luy monstrer ceste harangere, et print encores quelques autres galochers[5] avec luy : lesquelz, in primis et ante omnia, il mena boire à la Mule[6] ; et quand ilz eurent bien choppiné, ils s’en vont. Ilz ne furent pas si tost sus le Petit Pont, que la harangere ne recongneust bien ce martinet, et quand elle les veid ainsi en trouppe, elle congneut à qui ilz en vouloyent. « Ah ! voy-les là! dit-elle ; voy-les là, les gourmands !

  1. Au lieu de per diem, jurement déguisé. Un bon curé disoit que c’étoit le jinement de David et le prouvoit par le verset 6 du psaume cxx : Per diem sol non uret te. À quoi Bèze, dans son Passarantius, a fait allusion en ces termes : Per diem, sicut dixit David. Ce qui en cet endroit signifie : Pardieu, comme dit David. Nous avons inventé dans notre langue une infinité de correctifs à ce jurement, tous plus ridicules les uns que les autres : Pardi, pardienne, pargué, parguienne, parguieu, parbieu, parbleu, pardigues, pardille, pargoi. (L. M.)
  2. Méchante, fourbe.
  3. L’écolier n’avoit juré que per diem ; le régent, croyant, comme La Roche Thomas (voy. ci-dessus, Nouvelle XIV) que le pluriel avoit plus de force, jure per dies. (L. M.)
  4. La Monnoye dit que c’est une phrase d’Olivier Maillard ou de Michel Menot,sermonnaires bouffons de la fin du quinzième siècle.
  5. Les écoliers externes, c’est-à-dire ceux qui ne demeuroient pas dans le collège, nommés alors galochers, et depuis galoches, parce que en y allant ils portoient des galoches par le mauvais chemin, pour se tenir le pied sec et garantir leurs souliers de la crotte. (L. M.)
  6. C’était sans doute l’enseigne d’un cabaret renommé dans le quartier de l’Université.