Page:Desportes - Premières œuvres (éd. 1600) III - Cleonice. Dernières Amours.djvu/10

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
  CLEONICE,  



STANSES.


SOnt-ce dards ou regards que les traits elancez
De ces deux beaux Soleils, Roys des ames plus fieres ?
Hà ! ce ſont des regars clairs d’ardentes lumieres :
Non, ce ſont dards cruels dont les cœurs ſont percez.

Sont-ce charmes ou chants que les ſons gracieux,
Dont ſa vermeille bouche eſt ſi bien animee ?
Ce ſont chants qui l’eſprit peuuent rauir aux Cieux,
Ce ſont enchantemens dont i’ay l’ame charmee.

Puis qu’il ſe falloit perdre, & qu’il eſt deſtiné
Que vaincu ie periſſe en l’amoureuſe guerre,
Ce m’eſt grand reconfort qu’vn ſi beau trait m’enferre,
Et qu’en ſi blonds cheueux ie ſois empriſonné.

Toutes les autres fois qu’Amour m’auoit donté,
Ie pleuroy ma fortune & l’eſtat de ma vie :
Mais i’aime ores mes fers & fuy la liberté,
Et chaſtiroy mon cœur s’il en auoit enuie.

D’vn regret ſeulement mes esprits ſont troublez,
D’eſtre trop bas obiet pour ſi haute lumiere :
Mais, ô rare Beauté des beautez la premiere,
Prenez garde au Soleil à qui vous reſſemblez.

Ce bel aſtre du Ciel, ceſt vnique flambeau
En tous lieux ſes rayons ſans difference darde :
Et ſon œil, qui ſi clair cede au voſtre plus beau,
Comme les hauts Sapins le bas Soul cy regarde,.

Ne me dedaignez donc, & ſouffrez qu’en mourant
Vn doux traict de voſtre œil donne eſpoir à mõ ame :
Permettez que mon cœur baſſement vous reclame,