Page:Desprez - L’Évolution naturaliste, 1884.djvu/293

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

à bien des coups de gueule, à bien des cynismes affectés.

Mais la vraie originalité de M. Richepin réside plus dans sa prose que dans ses vers. Pour la foule, il est resté l’auteur de la Chanson des Gueux ; son succès de 1875 barre la route à ses romans. Pourtant, la phrase ramassée, nerveuse et puissante de la Glu, dans son raccourci pittoresque, inaugure un faire qui finira par triompher des développements sans bornes de l’école Flaubert. Deux générations ont vécu de l’énumération infinie ; le moule s’épuise. Qui imposera une nouvelle formule nette, brève, forte ? Peut-être M. Richepin, s’il voulait rester observateur, s’abstenir du caricatural et du romanesque.

Comme le poète des Gueux, M. Paul Bourget, son ami, vaut surtout par la prose.

Lui aussi, le théoricien de l’école Raudelairienne, il a suivi le maître dans les boudoirs troubles, pleins de parfums énervants. Mais il n’arrive pas à lancer des blasphèmes au ciel avec une bouche de cuivre. Sa voix a des harmonies amoureusement vagues ; Raudelaire finit en Shelley. L’auteur des Aveux compare son âme à un jardin dont les allées


Se peuplent chaque soir de formes long voilées
Qui frissonnent devant un ciel rose et glacé.


Et c’est bien l’image de cette poésie qui se plaît à vo- guer aux clartés pâles de la lune sur les lacs écossais ou à entendre la brise gémir dans les bruyères. Des paysages calmes, aux tons doux, un peu froids.


Ô nuit, ô douce nuit d’été qui viens à nous
Parmi les foins coupés et sous la lune rose,
Tu dis aux amoureux de se mettre à genoux,
Et sur leurs fronts brûlants ton souffle frais se pose.