Page:Desprez - L’Évolution naturaliste, 1884.djvu/334

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
326
L’ÉVOLUTION NATURALISTE


suite de larges et violentes comédies, semblables à des fresques de maîtres, écrites sur le mode aristophanesque, et fouettant toute une société avec de l’esprit descendant de Beaumarchais, et parlant une langue ailée, une langue littéraire parlée que je trouve, hélas ! manquer aux meilleurs de l’heure présente : des comédies enfin où une myope Thalie ne serait plus cantonnée à regarder dans un petit coin avec une loupe[1]. »

Il faut remonter plus haut qu’Henriette Maréchal, jusqu’au Mercadet de Balzac, pour trouver un puissant essai naturaliste au théâtre. Mercadet, le financier véreux, est solidement campé, mais autour de lui il y a bien des êtres artificiels, mais on parle dans la plus grande partie du drame un langage de convention. Balzac, trop préoccupé de lutter avec les splendeurs lyriques de Victor Hugo, ne manie pas toujours heureusement le dialogue.

Le Chandelier d’Alfred de Musset doit aussi être regardé comme un retour au simple et au vrai. Assurément le poète des Nuits ne calque pas la réalité comme on essaie de le faire aujourd’hui, mais il a pétri sa pièce en pleine pâte humaine, et c’est à cause de cette humanité qu’elle vivra. Je ne sais pas de caractère plus fouillé, de physionomie plus nuancée et plus troublante, que le caractère et la physionomie de Jacqueline. C’est la meilleure empreinte que l’on ait donnée depuis Shakspeare de l’éternel féminin. Les deux poètes ont également traduit le charme félin, le caprice, le mensonge et la perfidie qui sont la femme même.


Toujours ce compagnon dont le cœur n’est pas sur,
La femme, enfant malade et douze fois impur[2] .

  1. Théâtre. Préface.
  2. Alfred de Vigny. La colère de Samson.