Page:Desrosiers - Âmes et paysages, 1922.djvu/121

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que la nature y éveillait, passif comme une harpe sous la main du musicien ; elle avait broyé ses énergies, tué son activité, brisé le ressort de l’action. Son enfance et sa vie errante dans les forêts primitives avaient favorisé l’emprise de la meurtrière. Et, au lieu de réagir et de résister, il se livrait avec ivresse et avec ardeur, empirant avec plaisir son mal.

Devenu solitaire et trop sensible, la vie le blessait maintenant partout. Lorsque je le rencontrais dans la rue je remarquais qu’il avait un frissonnement apeuré de vieillard au milieu des passants, du trafic et du bruit. Et s’il parlait à quelqu’un, il profitait du moment où son interlocuteur observait quelque chose ailleurs pour l’examiner et fixer sur lui des yeux qu’il détournait immédiatement, s’il était regardé à son tour. On aurait dit qu’il épiait autour de lui un ennemi toujours présent.

Je n’avais aucun moyen d’agir sur lui. Trop absorbé par sa rêverie, Jean Desbois ne réfléchissait pas aux avertissements et aux conseils que je lui donnais, aux pensées que je lui suggérais. Il ne les incorporait pas, par la méditation, dans son esprit, ne les retenait pas et ne les laissait pas s’enfoncer au fond