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s’assimiler, comme il le fait toujours, les travaux des spécialistes, et il est tout de suite absorbé dans sa lecture.


II


Il est dix heures le lendemain avant-midi. Le premier ministre, Pierre Langelier, vient d’arriver à son bureau. Il est soucieux et un peu sombre. L’âge, cinquante-huit ans, n’a pas encore ravagé sa belle figure expressive, ni terni les grands yeux noirs enflammés, ni voûté la haute et mince taille de tribun. Mais une imagination et une sensibilité trop vives et trop développées qui ont fait sa gloire d’orateur par des figures de style, des mouvements et des diatribes, lui ont rendu très fatigante la possession du pouvoir. Les heureuses nouvelles l’exaltent beaucoup, tandis que les échecs le dépriment. C’est une oscillation, une vacillation continuelles entre deux extrêmes, dont se ressent sa politique. Il n’a pu acquérir ce détachement, cette froideur et ce désintéressement des grands hommes d’État qui font de la politique comme ils joueraient un jeu où ils n’ont rien à perdre ou à gagner, et pour cette raison calculent sûrement et apprécient toute chose à sa juste valeur.