Page:Desrosiers - Âmes et paysages, 1922.djvu/155

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mais il ne parvient plus à dire ses mots ; on dirait qu’il les arrache d’abord de sa gorge avec effort. Toute son âme bouillonne à l’intérieur, comme dans les grands moments, et s’il perdait une minute le contrôle de ses nerfs il pleurerait d’amertume et de dégoût. Sa voix basse et sonore s’enfle bientôt, il ne fait pas de gestes mais ses phrases ont une vibration, une passion sauvage et exaltée.

— J’ai refusé quelques faveurs à des manufacturiers, à des capitalistes ; le ministère, sous ma direction, n’a pas voulu signer certains contrats parce qu’ils leur accordaient trop de concessions. Que pouvais-je faire ? Ils deviennent trop voraces à la fin. Ils sont là, pressés autour de nous, comme une horde de loups affamés et maigres ; ils font cercle autour de nos forêts, de nos mines et de nos chûtes. Chaque morceau qu’on leur jette excite leur faim. Ils sont toujours prêts à bondir, à nous sauter par-dessus la tête, si nous voulons leur opposer des barrières, les empêcher de tout saccager, de tout voler et de tout détruire. Ils veulent tout, mais sans payer. Ils conçoivent les plans les plus audacieux, les fourberies les plus habiles, des pillages compliqués. Il n’y a pas vingt hommes dans cette province qui soient capa-