Page:Desrosiers - Âmes et paysages, 1922.djvu/171

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peser ses idées ; poussé par le courant des paroles, il manque du recueillement pour approfondir, distinguer, limiter. Il fait des généralisations trop hâtives, bâtit d’énormes hypothèses sur des faits minuscules qu’elles écrasent. Rien de ce qu’il dit n’est entièrement faux ou entièrement vrai, le mensonge et la vérité nichent dans la même phrase, s’abritent sous le même mot.

— Pour moi, dit-il, notre système d’éducation est responsable d’une situation aussi désastreuse. On n’y enseigne pas les lettres, ni l’art, comme on devrait. On néglige les sciences. Les professeurs en sont toujours à Corneille, Bossuet et Racine. Pouvons-nous sortir de notre pauvreté intellectuelle sans un chambardement total ?

Là-bas, dans un autre coin de la pièce, Gaston voit un long individu jaunâtre aux cheveux roux et lisses, qui tient son interlocuteur par la basque de son habit, et darde sur lui le regard glauque de ses yeux verts.

— « Selon moi, s’exclama-t-il, Paul Fort est le seul poète de génie contemporain. Comment ?… Vous n’avez pas lu Paul Fort ? Mais c’est impardonnable. Si vous saviez quelle harmonie il y a dans ces phrases rythmées, animées d’un souffle puissant. »