Page:Desrosiers - Âmes et paysages, 1922.djvu/19

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Le malheur prévu par Fécite arriva cependant. Le candidat opposé à celui de mon grand-père tint une assemblée sous les ormes de l’église, après la messe. La foule divisée en deux camps s’invectivait dès le début. Mon bisaïeul Louis, avec cinq ou six de ses pairs à carrure herculéenne, en veston d’étoffe à manches de cuir, avait pris possession des marches de la tribune. L’orateur, un petit notaire barbu, aux gestes agiles et à la riposte prompte, attaquait avec brio sous l’œil de ces singuliers gardes du corps. Il parlait trop bien. À un moment donné mon ancêtre bondit sur les tréteaux avec sa troupe. On le vit aussitôt balancer au-dessus de sa tête le corps gigotant du petit notaire et le lancer parmi l’auditoire. Le curé accouru en toute hâte réussit à arrêter les rixes et ce moulinet formidable des poings déchaîné dans l’assistance par l’assaut de la plate-forme.

Un jour vint où il fallut solder cette victoire. Poursuivi pour fracture d’un bras mon bisaïeul Louis fut condamné à payer quatre mille dollars d’indemnité. Peu riche en numéraire, il dut vendre sa grande ferme fertile pour s’établir sur une terre plus petite, au quart défrichée, le long de la rivière Bayonne.

Fécite et ma grand’mère passaient maintenant leur temps à pleurer. Un mot, un re-