Page:Desrosiers - Âmes et paysages, 1922.djvu/20

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gard, une pensée, et les larmes jaillissaient de leurs yeux, coulaient le long des joues. Dans la maison vide, lorsque les derniers meubles eurent été chargés, elles s’affaissèrent, sentant se briser une infinité de liens imperceptibles d’amour et d’amitié, des attaches à la vie, leurs racines dans le sol. Un désespoir secret habita longtemps leur âme car on les vit regarder souvent, le soir, ce coin de l’horizon où s’élevait la vieille demeure. Et de souffrir également pour la même chose, Fécite et ma grand’mère contractèrent une amitié muette et indestructible qui éleva la servante au niveau de la maîtresse.

Après cette déchéance matérielle les malheurs se multiplièrent dans la famille. Payant en un seul jour les excès de toute une vie, mon bisaïeul Louis fut atteint d’une paralysie des jambes ; il ne marcha plus qu’avec des béquilles. La force de ses bras s’étant pourtant conservée intacte, et, habile à manier les rames, il passait des journées à la pêche, une gourde de rhum au fond de sa chaloupe. Charles, son fils aîné, pour s’être ruiné à défricher, à cultiver, afin de nourrir la famille nombreuse, se couchait à quarante ans dans son lit de souffrance, pour y vivoter longtemps, pâle et timide vieillard perclus, au sang ané-