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Page:Desrosiers - Âmes et paysages, 1922.djvu/24

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Pauvre grand’mère, elle s’éteignit bientôt en langueur, résignée et heureuse. Mon bisaïeul la suivit de près, laissant dans la paroisse des souvenirs légendaires de son caractère terrible et brouillon. Puis mon grand-père Charles acheva de mourir. Ces trois deuils s’échelonnèrent dans les jours d’une année. Dépaysée maintenant par le décès de ses vieux maîtres, à demi-folle de regrets et de tristesse, hébétée par ces douleurs renouvelées, Fécite tomba un soir, pour ne plus se relever, en disant les prières communes.

On la conduisit au cimetière par un matin de janvier éclatant. Je revois le chariot noir s’en allant, là-bas, dans l’infinie pureté du paysage. La nature avait sa parure virginale et immaculée. La pluie congelée sur les arbres en avait fait des lustres de cristal, partout scintillants et brillant sur la plaine, au bout des troncs noirs. Le pâle soleil hivernal allumait des rutilements sur la neige dans cette atmosphère translucide et bleuâtre des jours de froid intense. On aurait dit enfin une chambre mortuaire immense dressée par Dieu pour une vierge. Et s’espaçant en arrière du convoi, cinquante, cent, deux cents, trois cents voitures, toute la paroisse accourue aux funérailles comme à un pèlerinage.