Page:Desrosiers - Âmes et paysages, 1922.djvu/23

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tait le goût des chers petits. Toute accablée et toute défaillante au-dedans d’elle-même, elle menait cependant le combat, comme un général, pleine d’héroïsme et de calme, arrachant jusqu’entre les griffes de la tueuse ces corps déjà froids et pantelants saisis des spasmes de l’agonie.

Et il aurait fallu un bureau de statistiques pour enregistrer toutes les victoires qu’elle remportait. Songez-y donc ! Une trentaine d’enfants au moins soignés et choyés par elle !

C’est un peu plus tard que je l’ai connue. Elle n’était plus guère utile dans la maison. Ma mère et mes tantes suffisaient aux tâches du ménage. Et le soir, lorsque la famille était réunie autour du poêle, mon bisaïeul Louis encore vert et gai malgré ses quatre-vingt-dix ans et ses infirmités, la taquinait avec un air de pince-sans-rire :

— Sata-Michette, disait-il, tu ne fais plus rien, Fécite ! Penses-tu que l’on puisse te nourrir si tu ne gagnes pas ton pain ? Tu serais mieux de partir sans qu’on te le commande, au lieu de compter sur notre bon cœur.

Fécite regardait alors ma grand’mère et elles souriaient, d’un air entendu, en joignant les mains.