Page:Desrosiers - Âmes et paysages, 1922.djvu/46

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s’ennuya. Autrefois, elle attendait toujours une surprise, une surprise désagréable il est vrai, que Pierre ne manquait pas de lui faire ; mais c’était l’imprévu dans sa vie. Cécile se laissa bientôt aller à ses souvenirs. Son amoureux pouvait-il avoir traversé ainsi la carte du Tendre, en riant, en s’amusant, en parlant d’autres choses ? Et toutes ses plaisanteries n’étaient peut-être que sa manière d’aimer, une manière étrange, irritante, mais combien efficace et perfide ? L’affection était-elle possible sans un attirail de pensionnaire ? Sous des vêtements plus simples, l’avait-elle méconnue ? Les yeux de Pierre pourtant ne mentaient pas.

Cécile, bientôt, revécut toute la scène ; d’abord avec un petit frisson et honteuse de s’y arrêter ; puis, plus souvent et avec une douceur inattendue. Elle comprit que Pierre, pour n’avoir point suivi la filière conventionnelle des mièvreries, n’en était pas moins sincère et épris ; qu’elle avait mal interprété ses actes et toutes ses paroles et qu’en les considérant sous un angle nouveau ils n’avaient plus rien que de très attachant et de très aimable. La sentimentalité ancienne, ainsi que l’écorce d’un arbre mort, s’écaillait et tombait par lambeaux.