Page:Desrosiers - Âmes et paysages, 1922.djvu/59

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

reux des mortels s’il a la réputation d’un mauvais sujet.

Et, de plus, la belle Graziella est sentimentale. Oui, elle est aussi sentimentale qu’elle est considérable, pleine d’idées romanesques et nuageuses. Le soir, elle amène son petit Prosper se promener sur les falaises, autour de la Pointe Champlain, autour du parlement, à l’heure où le soleil se couche et découpe derrière eux des ombres disparates et ridicules. Elle devient langoureuse, se tourne vers la lune, prend les étoiles à témoin de ses rêves, de ses songes d’avenir, de tous ses sentiments affectueux. Elle admire le couchant, elle s’exclame, elle se fond d’enthousiasme, célèbre la nature et se rappelle des vers de Lamartine, pendant que le gentil Prosper, prosaïque et tranquille, examine avec inquiétude la poussière qui recouvre ses souliers.

Un soir, ils se laissent aller en canot sur la rivière. La belle eau lisse et luisante sous le ciel gris reflète à perte de vue dans ses bords les arbres de la rive. Les falaises de Rockliffe couvertes de leurs pins sombres abritent une foule de fonctionnaires en rupture de ban, de femmes et d’enfants chassés de la ville par la chaleur lourde qui met de la torpeur dans toutes les têtes. De l’autre côté