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Page:Desrosiers - Âmes et paysages, 1922.djvu/60

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on ne voit de la Pointe Gatineau que des plans de façades blanches entre les verdures. Intéressés l’un par l’autre, ils ne voient rien, ils se contemplent et s’admirent, ils s’aiment avec la surprise de se plaire dans tous les détails, les mouvements, le son des voix, la figure, les manières.

Mais tout à coup un éclair suivi d’un coup de tonnerre sec et profond les réveille de leur mutuelle extase. Le spectacle est terrifiant. Le large bassin formé derrière eux par l’Outaouais qui se développe et s’élargit à l’embouchure de la Gatineau reflète dans son eau limpide et calme tout un firmament noir, et c’est comme si deux orages, avec des chevauchées de nuages, s’épanouissaient lentement dans le ciel et sur l’eau. Puis des Montagnes bleues qu’on ne voit plus descend lentement un nuage laiteux et blanc. C’est la pluie à torrents dont les premières gouttes, isolées et grosses, tombent en faisant autour d’elles de larges cercles. Le vent s’abat avec violence et les flots se forment en houles.

Affolé, Prosper se précipite sur les rames pour diriger l’embarcation vers le rivage. Graziella essaie de protéger sa toilette avec les coussins qu’elle entasse sur elle. Ils ne voient plus rien parmi les rafales, la pluie, l’obscurité