Page:Desrosiers - Âmes et paysages, 1922.djvu/80

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qu’avait duré l’attente, Pierre était resté, silencieux, assis dans un coin de la véranda, étranger à tout ce qui se passait autour de lui. Lorsqu’Annette arriva, essoufflée, heureuse, riante, criant de plaisir, il resta longtemps fermé et froid, compassé et poli, répondant sans hâte et par monosyllabes. Stupéfaite et saisie du changement de ses manières, elle le regardait avec étonnement, et attristée tout à coup jusqu’au fond de l’âme.

— Mais qu’avez-vous ? Je veux le savoir. Dites-le moi. Vous n’êtes plus comme d’habitude et j’avais tant hâte de vous voir.

Elle le suppliait, tyrannique, elle se butait dans sa question, décidée à tout apprendre.

— Vous avez été bien longtemps à votre promenade, et j’ai souffert.

— Vous étiez jaloux, alors ?

— Oui, j’étais jaloux. Et dans ses yeux s’allumaient encore des lueurs de tristesse et des lueurs de colère, à intervalles réguliers, comme les feux d’un phare, se cachant, se montrant, des lueurs troubles et vagues.

Curieuse, Annette l’examina un instant sans rien dire, puis, prise de la hâte de se disculper, de montrer son innocence, elle parla à flots pressés.

— Mais je ne pouvais pas refuser. Lucien