Page:Desrosiers - Âmes et paysages, 1922.djvu/89

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Malgré mes objurgations Pierre partit.

Annette était seule. Elle s’était ménagé cette solitude pour l’explication finale. En me voyant paraître sans mon ami, elle comprit. Elle ne me posa point de questions. Elle tressaillit imperceptiblement de tous ses membres, mais se ressaisit aussitôt. Une fierté indomptable était en elle. Elle demeura assise, si fine, si blanche, si jolie, sur la véranda au bord du lac bleu. Elle se mit à parler. Et j’eus conscience tout de suite qu’elle voulait se donner le change à elle-même, se laisser glisser tout entière dans un autre sentiment, éprouver une autre émotion afin de ne rien sentir, pour le moment, en dehors d’eux. Elle me parlait avec volubilité de sa vie de couvent ; elle s’enthousiasmait pour la nature. Puis, s’il y avait un silence, une pause, elle se remettait à tressaillir encore, et repartait sur un autre sujet. Elle voulait mettre des barrières à sa douleur, n’y pas penser, ne pas la laisser entrer en elle, elle lui défendait les portes et les issues de son âme, avec vaillance, elle repoussait à deux mains le désespoir qui rôdait, attendait avec patience autour d’elle pour la submerger d’une vague irrésistible et la rouler aux flots de la mer. Elle ne pouvait pas le regarder en face et jusqu’au