Page:Desrosiers - Âmes et paysages, 1922.djvu/90

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fond d’elle-même elle en avait une peur infinie.

Et je n’en pouvais plus, je ne pouvais pas parler parce que ma voix se serait étouffée dans ma gorge et que les larmes auraient jailli de mes yeux. Il me semblait qu’elle serait mieux, seule, étendue sur sa chaise longue, à se posséder, à se combattre, à réaliser et à accepter sa souffrance ; et c’est pourquoi je partis.

J’avais le cœur oppressé. Je m’en allais dans le chemin, envahi tout à coup d’une pitié et d’un dégoût angoissants, d’un abattement qui m’accablait. Soudain, j’entendis des bruits en arrière de moi. J’eus à peine le temps de me jeter dans les broussailles, épouvanté. C’était Annette, Annette en robe blanche, passant à bride-abattue sur le pur-sang dont son père seul se servait. Debout sur les étriers, haletante, folle de douleur, elle s’en allait dans la nuit, rabattant toujours sur les flancs du cheval enragé la longue cravache sifflante qu’on entendait au loin. Elle fuyait, plongeant ses regards dans l’obscurité, au galop dans les montées à pic et les descentes brusques, au bord des corniches pierreuses où les sabots de la bête bondissante sonnaient en faisant jaillir des étincelles. Éperdue, délirante, échevelée, elle voulait, dans cette