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les autres, c’est à qui trouvera de quoi vivre pour soi ». Partout, c’est la même disette : les bandes des alentours souffrent également de la faim.

Enfin, les chasseurs tuent un orignal, et l’on pose le campement tout à côté ; mais cette aubaine ne dure guère. Le 4 janvier, un Iroquois condamné au supplice, puis gracié autrefois, ne revient pas le soir : nul doute, il a succombé à la faiblesse et à la faim.

Ainsi vont les Indiens se traînant d’une maigre pitance à l’autre. Et le 29 janvier, ils commencent leur retraite : « Voilà le terme de notre pèlerinage, dit le père, nous commencerons dorénavant à tourner bride et à tirer vers l’île où nous avons laissé notre chaloupe ». Maintenant, enfin, les neiges sont profondes et les chasseurs peuvent s’attaquer à l’orignal avec quelque chance de le tuer : la famine a pris fin. Car cette chair abondante, on la transformera en « boucan dur comme du bois et sale comme les rues ».

Sous la plume du père Le Jeune, le procédé que les Indiens emploient ne manque pas de pittoresque : « Ils vous jetteront par terre tout un côté d’orignal ; ils le battent avec des pierres ; ils marchent dessus, le foulent avec leurs pieds tout sales ; les poils d’hommes et de bêtes, les plumes d’oiseaux… la terre et la cendre : tout cela s’incorpore avec la viande, qu’ils font quasi durcir comme du bois à la fumée ». Mais enfin, c’est de la nourriture ; on dort en paix et surtout l’on pétune. « L’affection qu’ils portent à cette herbe, dit le missionnaire, est au delà de toute croyance, ils s’endorment le calumet à la bouche, ils se lèvent parfois la nuit pour pétuner, ils s’arrêtent souvent en chemin pour le même sujet, c’est la première action qu’ils font rentrant dans leurs cabanes. »

Le père Le Jeune ne peut digérer le boucan : « Passant de la famine dans la bonne nourriture, dit-il, je me portai bien ; mais passant de la chair fraîche au boucan, je tombai malade, et ne recouvrai point entièrement la santé que trois semaines après mon re-