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dans le nid d’aiglons, la colombe

avaient certainement joué ensemble. C’est à lui que Jacques Le Ber, à sa mort, avait confié les intérêts de sa famille. Aussi, il apparaît en quelques actes notariés comme l’exécuteur des volontés de Jeanne. Sa signature après celle de la recluse en fait foi. Ces documents supposent des entretiens préalables. Il se distinguait par une intelligence supérieure et la stabilité du caractère.

Ces divers événements s’échelonnent sur une période d’un peu plus de dix-neuf ans. C’est dire que Jeanne Le Ber s’imposa l’une des réclusions les plus sévères que l’histoire ait enregistrées. Voilà le fait qui a le plus frappé ses premiers historiens. Plus rigide que celle des Chartreux, disent-ils, plus rigide que celle des Camaldules. Elle a, dans sa cellule, une fenêtre dont nous parle longuement l’histoire car elle fut l’objet d’un litige amical entre la Congrégation et les Hospitalières de Saint-Joseph, propriétaires des terrains attenants. Elle ne leva pas les yeux pour entrevoir les spectacles de la nature et des saisons. Sa santé n’était pas des meilleures ; elle devait recevoir alors l’apothicairesse, comme on disait. Son confesseur lui proposa de sortir par sa porte particulière, de prendre l’air parfois ; de se faire même un jardin comme beaucoup de reclus et de recluses. Elle refusa avec indignation. Son reclusoir était son « centre », comme elle le répéta, son tout. Elle était la Marie qui ne voulait pas quitter un instant les pieds du Sauveur. Peut-être lui avait-on parlé d’une image du Moyen Âge ? Différents ascètes tentaient d’escalader l’âpre montagne de la sainteté ; presque tous retombaient devant des obstacles particuliers à leur état ; l’anachorète avait presque atteint le sommet lorsqu’il voulait revoir, une dernière fois, les fleurs et les plantes qu’il avait cultivées avec amour ; il s’écroulait à son tour. Jeanne ne voulut pas s’exposer à ce danger. Elle s’acharna toute sa vie à faire de sa solitude,