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bois, les deux hommes causent. Nicolas Montour raconte absolument tout, cette fois, sans fard. Le Bancroche lit attentivement les papiers.

— Alors, Louis Cayen t’a supplié de lui porter secours ? Le bourgeoys sourit. Montour n’a qu’à lui donner des indications et il imagine tous les détails.

— Les Petits ne pourront porter plainte. Bravo, mon garçon. D’ailleurs, eux et nous, nous nous servons des mêmes armes. S’ils possédaient notre force et notre habileté, ils nous livreraient la même guerre.

— Lenfesté s’opposait à mon départ, imaginez ; il craignait que je le dénonce, parce qu’il s’est enivré : j’ai dû promettre de ne vous en rien dire.

Nicolas Montour connaît bien mieux que Lenfesté la largeur d’esprit du bourgeoys et son indulgence pour certaines choses. Que lui importent des vétilles comme une orgie pourvu que l’on réussisse ?

— Qui résisterait dix ans dans le Nord-Ouest sans alcool ? À la santé des sobres agents de Montréal, mon garçon ; à la santé de votre ami Lenfesté !

Il verse à son compagnon de larges rasades de whisky blanc, puis il boit :

— Le Marquis sera content. Tu vas descendre au Grand Portage dans mon canot ; il faudra te récompenser un peu, mon brave garçon.

Les yeux de Montour s’animent. Son plus beau rêve devient réalité. S’il était resté au fort Providence, il n’aurait pu traverser le lac qu’en juin, avec la brigade, après le départ des glaces ; il n’aurait pu descendre plus loin qu’au fort du lac à la Pluie et il aurait manqué Grand Portage, le centre, le lieu des influences, des intrigues, des nominations et des promotions.

Tom MacDonald boit. L’ivresse venant, il prend sa cornemuse. La musique l’emporte dans son monde désolé. En cette chambre basse, les sons abasourdissent un peu. Mais qu’im-

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