Page:Desrosiers - Les Engagés du Grand Portage, 1946.djvu/130

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porte ? En esprit, le bourgeoys revoit sa brumeuse Écosse, ses montagnes, ses bruyères.

Tom MacDonald boit. Puis il dépose l’instrument. Il est ivre, il parle avec des hoquets.

— Mon garçon… Dans le commerce des fourrures, comme ailleurs, c’est toujours, malgré les lois, l’éducation, la moralité, une lutte genre libre… À cinquante ans, tu sauras par la pratique : on utilise toutes les prises. De part et d’autre, pas le plus petit souci de justice ou de moralité… Le meilleur homme vainc, et avec toutes les ressources qu’il a en lui, toutes : force, ruse, intelligence, subtilité… Si tu triomphes, tu as l’orgueil d’être l’homme le plus fort, absolument : tu n’as eu pour te protéger ni arbitres, ni protecteurs d’aucune sorte ; la justice, la compassion, la pitié ne t’ont jamais préservé d’une défaite. Tu as été exposé à toutes les attaques possibles, tu les as repoussées, tu es le meilleur homme absolument…

Il y a des victimes naturellement, mon brave petit garçon… puis des plaies incurables… C’est un jeu dur, la vie, mon ami… Mais tu as compris, tu as compris, toi… Il vaut mieux le comprendre jeune : autrement, tu seras mis hors de combat avant de le savoir.

Le Bancroche boit, sa bouche s’empâte.

— Et puis, Montour, mon ami, l’homme n’est pas intelligent, n’est-ce pas ? Nous le savons, nous, que l’homme n’est pas intelligent… Pas loin de la brute la plupart du temps, malgré les philosophes… Regarde nos voyageurs… Un troupeau, quelques milliers de bêtes de somme… Il est doué de passions surtout. Ce que nous en faisons des hommes, nous, ce que tu en feras en ton temps, toi Montour, bon ami, car je connais ton âme, ta vraie âme.

Et le bourgeoys, ivre, s’amuse et rit.