Page:Desrosiers - Les Engagés du Grand Portage, 1946.djvu/170

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Nous pouvons interdire le rhum, mais nos adversaires en feront-ils autant ?

Puis viennent les phrases que Nicolas Montour attendait.

— Écoutez, Montour… Nous avons besoin de Turenne. Vous êtes son chef ; vous pourriez le conseiller, le diriger… Puis, c’est un être humain comme les autres, n’est-ce pas ? Il y a des moyens… La Compagnie vous serait reconnaissante si nous pouvions confier un poste à Turenne l’an prochain. C’est dit : nous pouvons compter sur vous ; vous arrangerez cela ?

Dans le ton du chef, il y a, à la fin, un ton de commandement qui ne trompe point. Le Marquis sait ordonner lorsqu’il le faut, même à Montour. Quel pouvoir secret possède-t-il ? Nicolas Montour n’élève personne sur qui il n’est certain de posséder une influence directe, personne qu’il n’ait déjà subjugué, qu’il ne soumettra à l’obéissance lorsqu’il le voudra. Son chef est-il plus habile encore que lui à cet égard ? Conserve-t-il, par devers lui, le moyen de mettre Montour à la raison, comme Montour a un moyen de mettre Cadotte à la raison ?


La brigade est campée aux fourches de la rivière Rouge. Au lieu de traverser le lac Winnipeg, elle a tourné vers le Sud au fort du Bas-de-la-Rivière, et maintenant elle longe la limite orientale des plaines. C’est la fin de septembre, un climat doux, une atmosphère lumineuse quoique voilée. Des tourtes innombrables, en voiliers, volètent dans le ciel.

À côté des canots des traiteurs s’élèvent les loges d’écorce de bouleau ou de nattes de jonc d’une bande de Saulteurs. Le bourgeoys, M. William Henry, a dépêché des canotées de marchandises vers les forts des rivières Assiniboine, Souris et Qu’Appelle. Et maintenant, il attend.

Les Saulteurs ont apporté quelques fourrures d’été et des vivres pour acheter de l’alcool. Et ils ont commencé à boire. Leur figure est large et ronde, leurs yeux sont égrillards, malins, et leur bouche dessine un rictus cynique.

Dans un baril de neuf gallons, les traiteurs mettent de l’eau

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