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les opiniâtres

milieu d’une flottille de douze canots. À quelques lieues des Trois-Rivières, les arquebuses iroquoises avaient décimé les équipages impuissants. Le missionnaire était tombé aux mains de l’ennemi avec deux Français.

— Non, personne n’a reçu de nouvelles, répondait monsieur du Hérisson. Au fort, on entretient peu d’espérance. Mais vous deux, ici, n’êtes-vous pas exposés ?

— Koïncha monte maintenant la garde, dit Pierre ; puis les Iroquois n’ont jamais descendu encore en aval des Trois-Rivières.

— Je ne tiendrais compte des nouveaux fortins. Vous nous donnez des inquiétudes parfois.

— Ysabau veille aussi tout près pendant que je travaille.

Pas plus que Jacques Hertel ou Jean Nicolet, monsieur du Hérisson n’osa insister. Pourquoi ? Il percevait sans doute une telle volonté de demeurer, un désir si puissant de poursuivre le travail qu’il en était lui-même infecté ; inconsciemment, Pierre minimisait les risques, exagérait la sécurité, déformait la situation de manière imperceptible ; son interlocuteur subissait la contagion de cet état d’esprit. Mais de retour à la factorerie, monsieur du Hérisson retrouverait son aplomb ; il s’écrierait :

— Mais non, c’est insensé.

Enfin, monsieur du Hérisson rembarqua dans son canot ; Anne s’installa au milieu et un engagé monta la garde à l’avant, mousquet au poing.

Pierre revint à la forêt. Ysabau se posta à une cinquantaine de pieds de lui, adossée à une souche ; à côté d’elle, prêt à être épaulé, le mousquet amorcé attendait. Elle tricotait un peu tout en surveillant soigneusement les abords du bois, en arrière de Pierre. Une branche agitée, et elle se dressait, attentive, tendue. À ses pieds, un champ d’avoine