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les opiniâtres

la bonté, par un changement de dispositions ? À tout hasard, il éprouva un peu de reconnaissance. Mais il ne remua pas. Rien, lui semblait-il, ne pouvait plus changer leur passé si court, plein de jalousie et d’orages. Son départ était de l’ordre des choses irrémédiables. Alors il se contenta de la regarder de loin, les mains crispées sur le bastingage, lui disant en lui-même l’adieu final.

Brune, décidée et curieuse, une fillette de sept ans peut-être, vint s’accouder à côté de Pierre.

— Et comment t’appelles-tu ?

— Anne Le Neuf.

— Où vas-tu ?

— En Nouvelle-France.

— Toute seule ?

Elle rit soudain comme si une gaieté inextinguible s’allumait en elle.

— Mais non. C’est ma maman, là-bas ; et puis là, c’est papa ; et puis mon oncle, des tantes, grand’mère Le Marchand, mes cousins, mes cousines.

— Vous partez tous ?

— Oui. Qui regardes-tu là-bas ?

— Là-bas ? C’est Ysabau.

— C’est ta sœur, Ysabau ?

— Non.

Ils entendirent le cri anxieux de la maman et Anne s’éloigna en sautant par-dessus les cordages. Pierre retomba dans sa solitude. Là-bas, Ysabau n’avait pas changé de place ; et lui, il éprouvait la tentation de crier : « Ysabau, Ysabau ».

Parmi les grincements de poulies et les cris des matelots s’élevèrent soudain le long des mâts, aussi transparentes et ruisselantes de lumière que si elles avaient trempé dans du soleil, de vieilles voiles carrées qui claquèrent au vent et se gonflèrent. Elles s’accrochèrent très haut, étalant sur un fond gris la blancheur de grandes