Page:Desrosiers - Les Opiniâtres, 1941.djvu/145

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
143
les opiniâtres

Un soir du début d’octobre, monsieur du Hérisson revint d’un voyage en France. Il rendit à Pierre l’une de ses premières visites. Il se présenta le soir.

Ysabau sauta au cou du vieux gentilhomme. Elle l’embrassa, elle glissa son bras sous le sien pour le conduire dans la chambre de Pierre. Il arrivait de Saint-Malo, lui ; il avait vu sa famille et celle de Pierre.

Saint-Malo. Ysabau avait un peu perdu la tête. Elle ouvrait des colis, elle maniait des objets, elle se souvenait, elle pleurait encore. Saint-Malo : la mer, les remparts, les sonneries d’église, les mâts de navire. Toute son âme fondait. Quel contraste entre la sérénité de son enfance et l’angoisse présente, au cœur de ce continent cruel !

Pierre se raidissait dans son émotion.

— Je possède encore un peu d’argent, avait dit sa mère ; quand j’aurais été plus vieille, je le leur aurais envoyé pour qu’ils viennent me voir. Vous le leur donnerez.

Après ces minutes d’émotion, ils durent accueillir les voisins. Ils entendaient frapper à la porte ; Ysabau se levait ; elle revenait avec David Hache, avec ce grand démanché de Sarrazin, avec Toussaint Malherbe, viking à la prestance belliqueuse, avec Osias Tourment, bourgeois rougeaud : petites gens qui s’assoyaient timidement d’un côté de la pièce, en face de monsieur du Hérisson. Ils posaient des questions.

— Et en France alors ?

— Et le Roi, quel âge peut-il bien avoir maintenant ?

— Et le Mazarin ?

Monsieur du Hérisson observait ces physionomies d’hommes confiants, intelligents, sains de part en part. Il savait de quoi il retournait. Comment répondre à la vraie interrogation qui gisait au fond de ces cerveaux ? Comment éteindre d’un souffle une espérance déjà vacillante ? Comment