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les opiniâtres

leur dire : la France est saisie de démence ? Elle gaspille des sommes énormes, elle fait tuer inutilement des milliers de soldats lorsqu’un peu d’argent et deux régiments lui assureraient ici la possession incontestée d’un continent ? Comment expliquer et décrire la Fronde ? Comment ajouter : hors de vos parents, je n’ai rencontré personne qui pensât à vous, à votre fortitude quotidienne ?

Monsieur du Hérisson biaisait. À la fin, sa propre colère se fit jour. Ses joues tremblotaient encore, il toussait d’emportement, les pommettes rouges, les moustaches hérissées. « Je leur ai dit… » répétait-il sans cesse. Avec qui avait-il tenu ces conversations ? Des comparses sans aucun doute, des sous-ordre sans importance. D’autre part, à qui s’adresser durant cet intérim de l’autorité ? Qui pouvait écouter et ordonner ensuite.

Et tout le temps, monsieur du Hérisson avait le sentiment de commettre une mauvaise action. Il se reprochait ses paroles. Il cadenassait en effet ses auditeurs dans une géhenne sans lumière et sans air où ils étouffaient.

L’assemblée se dispersa très tard. Les colons sortaient, s’accompagnaient un instant sans parler. Pensaient-ils à la dernière phrase du vieux gentilhomme :

— En France et dans toute l’Europe, mes bons amis, il n’y a encore que les plus grands hommes, les vrais aigles, qui peuvent comprendre les affaires coloniales.