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les opiniâtres

— Alors, tu crois que ça ne donnera rien, les missions chez les Agniers ou les Onnontagués ? demanda timidement Le Fûté.

— Ça donnera quelque chose, mais trop tard. Personne n’a jamais converti des Sauvages en quelques mois.

Pierre tenta de les calmer tous :

— Oui, dit-il, le sang nous bout dans les veines. Mais quoi entreprendre ? Nous devons boire l’humiliation, nous résigner, attendre. Moi, j’ai connu le jour où nous nous demandions : « Oseront-ils torturer un Français ? » Oui. Voilà. Leur insolence s’est accrue dans la mesure où ils ont découvert notre faiblesse. Notre prestige n’existe plus. Mais, encore une fois, que faire ? Rien, si ce n’est attendre. La mission d’Onnontagué peut détacher les Iroquois supérieurs des Agniers ; la France peut aussi expédier les renforts suffisants. Qui sait ?

Paroles de sagesse, mais aussi paroles de petit espoir. Pierre persévérait dans la même conduite prudente, avisée, patiente : utiliser précieusement chaque minute de la paix, prolonger celle-ci, agrandir les défrichés en attendant le jour de la délivrance. Pourtant ces instants de tranquillité, il ne les avait pas utilisés comme il aurait cru. À l’avance, il avait projeté de se jeter à corps perdu dans sa tâche de déforestation. Mais cette période avait recélé éclairs et tonnerre. Travailler dans ce tintamarre, c’était la même chose que de dormir à côté d’une maison en construction, parmi les coups de haches et de marteaux. Et l’avenir ne s’était éclairci d’aucune façon.

Pierre détestait que son existence dépendît à ce point de la chose publique. Il aurait aimé mieux se motter en son domaine, s’enclore dans des parois de silence et de paix. Malgré qu’il en eût, il subissait les répercussions répétées des malheurs qui affaiblissaient la colonie ; il était mêlé corps et âme à l’existence commune, comme