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les opiniâtres

l’affût, partout, il surprenait les habitants au travail. Il en résultait des séries d’engagements brefs, durs, sanglants, où les Français avaient rarement le temps de se mettre en défense et d’infliger des pertes graves.

Seuls, François, le jeune Godefroy, un ou deux autres, revenaient indemnes de leurs excursions. Mais une fois François avait reparu la main gauche éraflée ; une autre fois, les balles avaient coulé son embarcation sous lui. Cependant, il avait repris une couple de prisonniers, il avait rapporté des renseignements précieux.

— À quoi bon ? lui demandait Ysabau.

— Mon canot est plus rapide que les leurs, répondait François ; la forêt, je la connais bien ; leurs ruses ne me trompent plus.

Il ajoutait encore :

— Maman, pourquoi parler ? Au fond, je suis semblable à toi. J’avais six ans quand papa a été pris. Je me rappelle cette journée ; j’y pense toujours quand je suis seul, je tente de m’expliquer. Tu as crié, puis tu as eu un éclair ; tu as tout compris en une seconde. Moi, je n’aurais pas deviné avant une couple d’heures. Et tu as couru, tu aurais traversé du feu. Je suis ton vrai fils, mais bien indigne. Je m’en vais, je pense : « Ah ! si j’avais la tête de maman. Je conduirais les Sauvages et alors… » Mais non, à la minute suprême du danger, mon cerveau à moi, au lieu d’aller plus vite, il arrête de fonctionner.

— Tu es fou, François.

François souriait. Dans cet aîné, Ysabau découvrait des qualités qui lui bouleversaient le cœur : un courage rusé, du sang-froid, une impassibilité qui couvait de l’ardeur. Elle admirait la régularité mâle de la figure, la dureté du regard, la force solitaire. Et maintenant François s’isolait ; il s’arrachait doucement à sa famille, à son milieu, à tout, à sa mère elle-même. Que mijotait-il dans