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les opiniâtres

le fond de son esprit ? Qui aurait pu pénétrer ses pensées ?

Et voilà qu’elle l’attendait une autre fois ; elle se tourmentait. Elle passait et repassait devant l’autel de sapinages, adressant des invocations à la Vierge.

Quelqu’un frappa à la porte ; Ysabau avait déjà entendu les pas sur le perron ; mais elle sursauta, elle courut ouvrir. C’était Pierre Boucher ; toute expression s’éteignit dans ses traits et dans ses yeux. Elle s’effaça, bras ballants, et le visiteur entra.

— François n’est pas revenu ? demanda celui-ci.

— Non, dit Ysabau.

— Ce ne sera pas long maintenant.

Monsieur Boucher s’assit lourdement dans un fauteuil. Bientôt le feu flamba autour des billettes. Lorsque Pierre se présenta, Ysabau les abandonna à leurs propos.

De son côté, Pierre lui occasionnait bien des soucis. Depuis le déménagement, il ne s’était rendu à son domaine que pour de brefs séjours. Il avait constaté les progrès de l’envahissement des herbages. Les champs les plus anciens avaient produit de maigres récoltes ; tout revenu manquait ; dans le moment même, Pierre multipliait les instances pour obtenir un brevet d’officier. Mais l’existence de Pierre avait été trop longtemps remplie du même dessein ; celui-ci une fois anéanti, elle s’était drainée de toute substance ; et maintenant ce vide se remplissait de désespoir, d’humeurs moroses, comme une clairière se gorge de mauvaises herbes.

Ce malaise n’aurait été que superficiel si Pierre avait pu fixer un terme à son inaction. Mais personne ne prévoyait plus la fin de ces guerres : la Nouvelle-France semblait y être enfermée comme dans un cycle d’enfer. Au lieu de lever des chevelures chez les Algonquins, comme autrefois, les